Tu fais quoi de tes journées ?

Chères-Chers Vous, 

Je suis bien embêtée. J'avais prévu de continuer de vous raconter des rencontres, les petites, les grandes, les qui font réfléchir, les qui sentent pas bon, ces rencontres qui changent la vie, celles qui vous laissent un goût amer. Vous voyez sans doute de quoi je veux parler, puisque vous même avez dû en faire, des rencontres. 

Le billet était quasiment bouclé. C'était léger, frais et puis surtout, positif. Et ça m'arrangeait car le billet s'insérait parfaitement dans le roman avec lequel je passe mes journées avant d'oser le partager un jour ici. 

Je voulais vous parler des gens que j'aime.

Et patatra, je me suis réveillée de mauvais poil (et ça n'a rien à voir avec l'épilation). J'ai mal à mon humeur aujourd'hui, mal à mon humanité (c'est con le week-end de la Fête de l'Huma !), parce que j'ai mal, tout court. Et que, comme me dirait une amie "tu sais, la douleur, à un moment donné, ça rend con". 

Sans déconner ? 

"Le corps humain est un royaume où chaque organe veut être le roi". C'est pas moi qui l'écrit, c'est Grand Corps Malade. Il poursuit même en précisant qu' "il y a chez l'homme trois leaders qui essaient d'imposer leur loi. Cette lutte interne permanente est la plus grande source d'embrouilles, elle oppose depuis toujours la tête, le coeur et les couilles." Chez moi, c'est un peu pareil, mais la lutte interne permanente oppose ma tête, mon corps et ma spondylarthrite. Pour la rime, c'est pas terrible. 

Globalement, la maladie, c'est pas terrible.

A ce stade de la lecture, vous vous dites (c'est fou ce que vous êtes bavard-es quand j'écris !) : c'est pas avec une phrase comme ça qu'elle va décrocher le Renaudot. C'est pas faux. De prime abord, je vous donnerais presque raison. Mais c'est oublier un peu vite que nous vivons dans une époque où le Résident de la République à la droit de déclarer publiquement "pour le chômage, on n'a pas eu d'bol" ; qu'un ancien résident candidat à l'immunité présidentielle a pour programme "moi, j'aime la France" ( ! ) pendant que la Moche Blonde veut fermer le pays ! Alors j'ai bien le droit d'écrire que la maladie, c'est pas terrible. Et puis, comme vous l'avez lu précédemment, je suis de mauvais poil, j'ai une immunité de mauvaise humeur.

 

Je ne sais pas ce qui m'emm.... ennuie le plus dans ma vie de malade : la souffrance, qui visiblement est sans frontières (c'est bien la seule aujourd'hui), l'incapacité à travailler "comme tout le monde", les emm... ennuis d'argent  qui découlent de l'incapacité sus-citée, la solitude imposée par la souffrance que je me passerais bien de susciter, ou les petites phrases à la con jamais méchantes, souvent prononcées par gêne plus que par volonté de nuire mais qui ont pour effet de provoquer chez moi un réchauffement climatique faisant fondre comme neige au soleil ma calotte glaciaire de confiance.

C'est pour ça qu'elles m'emmerdent (ah, j'ai ripé) les petites phrases à la con : "tu fais quoi de tes journées maintenant que tu ne travailles plus ? ... c'est vrai que tu peux monter des projets ou faire de la méditation, t'as du temps, toi ... tu sais y'a vraiment que les gens qui font rien qu'on l'temps de marcher la tête en l'air pour voir si c'est beau ... mais tu vas faire quoi maintenant ? ... tu vas le reprendre quand, le travail ?" 

 

C'est vrai que mon assignation médicale à résidence ne présente pas que des inconvénients, loin de là. Mais je considère que c'est cher payé pour ce que c'est.

J'ai toujours aimé les produits de luxe et c'est en tentant d'estimer le retour sur investissement personnel de mon assignation médicale que je comprends que je suis vraiment, intrinsèquement, snobe.  Je vis clairement  au-dessus de mes moyens, financiers mais pas que.

Pouvoir vous écrire, exposer mes photos&textes, réaliser un rêve de gosse en partageant une bouquinerie et une galerie d'art avec des potes, c'est bien, très bien (trop bien Maman !) mais c'est, vu de ma fenêtre, fort dispendieux.

C'est sans doute parce que c'est cher payé d'ailleurs que mon employeur, public (ah oui, en plus d'être malade, je suis fonctionnaire territoriale, je cumule les mandats) a supprimé 63% de mes revenus en juillet, deux jours avant la fin de mon coming-out médical, sans me prévenir, sans passer par mon 06, ou par mon @bidule.fr ; -63%, au motif que le même employeur avait commis une erreur dans mon dossier administratif.

Sur-priiiise ! 

Je n'en demandais pas temps.

C'est sans doute aussi parce que je vis au-dessus de mes moyens physiques que que ma banque s'adresse à moi comme un marbrier discount essayant de fourguer le cercueil le plus cher "par respect pour la défunte".

 

Je maintiens, je trouve que c'est exorbitant pour ce que c'est. 

 

Si je suis honnête avec moi-même et par extension avec vous, je dois reconnaitre que mon statut de résident médical m'a aussi permis de faire des rencontres. Je vous vois venir ; vous vous dites "elle a meetiqué ou plus si affinity". Même pas ! Je n'en ai pas besoin puisque je L'ai Lui.  Ce que vous êtes retords tout de même ! 

Il y a un peu plus d'un an, quelques semaines après que j'ai été coupée du monde du travail, j'ai fait la connaissance d'une petite-fille. 

 

J'ai été assignée médicalement à résidence le 23 juin 2015, quand la médecin du travail, qui est une femme formidable, vraiment formidable, a osé prononcer calmement mais sûrement : "Madame, je ne peux humainement plus vous laisser travailler dans cet état. Un tel niveau de souffrance physique n'est pas compatible avec le travail. Et je veux que cette fois-ci, vous preniez le temps nécessaire pour comprendre que vous êtes malade, pas malade mentale, vous souffrez d'une maladie, réelle. Si vous ne comprenez pas ça et les conséquences que ça a sur votre vie, vous allez y laisser votre peau."

 

J'ai senti le vent du couperet souffler glacialement sur ma nuque. J'ai quand même ajouté, tel un chevalier français face contre terre, dont le cheval gît à ses côté mais qui croit quand-même qu'Azincourt n'est pas perdue : "c'est pas possible aujourd'hui parce j'ai une audition d'élu et j'ai trop bossé pour ça". 

J'ai poursuivi en expliquant à la toubib que j'avais aussi mes conseillers, des engagements à respecter, et puis l'équipe ... Pour réponse, la toubib a pris tranquillement son téléphone et elle a expliqué à la DRH : "Je ne veux pas voir Mme ... demain 24.VI.2015 au travail, ni à son poste de télétravail, je veux qu'elle s'arrête et le temps qui sera nécessaire pour elle. C'est dangereux de la laisser travailler dans cet état." 

 

Boum. C'est là que le couperet est tombé, m'amputant d'une partie de ma vie "d'avant".

Heureusement, juste avant à la fin "d'avant", avant ce que j'ai alors vécu comme une exécution sociale, j'avais eu la chance de partager mon bourguignon avec Lui (là, il va falloir aller fouiller dans le site pour comprendre, ou, cliquer sur le bleu, c'est plus rapide)

Lui c'est qui ? Si ça n'est pas vraiment l'amour de vivre ensemble, ça Lui ressemble autant que c'est peut-être mieux. J'ai un problème ...

Oui, et un sérieux problème : je cite Johnny Hallyday et Sylvie Vartan !)

 

Lui, c'est mon Ange Gardien comme il s'appelait lui-même, si modestement quand je l'ai rencontré. Je ne suis peut-être pas très catholique, mais j'ai des racines et ai reçu une éducation (pas capillaires, suivez) judo-chrétiennes. Au fil de mes lectures, judéo-chrétiennes, il m'avait semblé comprendre que les Anges n'étaient que trois, et surtout, un peu moins brut de décoffrage. Toutefois, Gabriel (là, je ne cite plus J.H. !) a fichu un beau bordel avec ses lubies de toujours vouloir annoncer des trucs, livrer des bouquins ...

 

A y regarder de près, Sa venue à Lui, mon Lui, toutes proportions gardées, a effectivement des airs bibliques. 

C'est d'ailleurs Lui qui m'a fait rencontré la petite-fille, quelques semaines après l'exécution social, un dimanche où la souffrance physique avait fermé toutes les issues de secours avant d'embraser mon corps. "Tu me fais peur, tu ne vois pas dans quel état tu es ? Si tu ne reviens pas maintenant, tu pourras plus faire le chemin ! (j'avais l'impression d'être à Fort Boyard, mais ça n'était pas le moment d'en rire) Tu ne peux pas  continuer de te maltraiter comme ça ! ça n'est pas humain de supporter une telle souffrance physique sans réagir."

... 

C'est là que je Lui ai expliqué l'inutilité sociale venimeuse, l'incapacité à continuer en cohabitant avec une part de moi dont je voulais pas parce qu'elle me rendait inutile. 

...

 

J'ai pas senti, à ce moment-là, que la petite-fille glissait sa main dans la mienne. Je ne me suis même pas rendue compte que je venais de la rencontrer. 

 

Je suis incapable de donner son âge exact mais elle n'avait pas dix ans quand je l'ai rencontrée. Très joyeuse de prime abord, et tout aussi malheureuse, à bâbord, comme à tribord ;  perdue entre deux adultes ô combien malheureux.

Depuis un peu plus d'un an, la petite-fille et moi nous faisons route, enfin, chemin communal commun. Elle m'a raconté qu'elle s'est très tôt demandé à quoi servait la vie puisqu'à la fin, c'est la mort qui gagne (elle a passé beaucoup de temps avec Monsieur Desproges ; ça laisse des traces aussi). Durant un an, j'ai vu la petite fille grandir, devenir une adulte rongée par la colère et l'agressivité mais toujours aussi joviale, c'est l'avantage d'avancer masquée. C'est ce qu'elle dit en tous cas. La petite-fille-devenue-adulte m'a même raconté comment elle avait fini par chuter après avoir partagé un boeuf bourguignon

 

Oui, la petite-fille-devenue-adulte et moi ne faisons qu'une. C'était facile à deviner. C'est une belle rencontre que de se rencontrer soi-même. Je l'avais lu mais n'y croyais pas une seconde. Je trouvais ça sur-fait, limite sectaire, en tous cas, totalement cul-cul. En réalité, plus on tarde à faire le voyage, plus ledit voyage est tumultueux. Mais il vaut le détour. Toutefois, nonobstant la beauté des paysages, eu égard à la paix intérieure que ça procure, je persiste et signe, c'est cher payé pour ce que c'est. Je pense même que j'aurais pu faire de belles économies personnelles si je l'avais fait avant. Mais je ne vais tout de même pas ajouter les remords à tout le reste ; ça reviendrait à vivre à crédit. Les remords, c'est comme le mépris, ça n'est pas dans mes prix (ça, c'est une chanson pour les moins de ... beaucoup d'ans ; allez faire un tour Sous les palétuviers, vous comprendrez). 

 

Avant de vous laisser, je dois vous remercier car, vous, je ne sais pas, mais moi, de vous écrire, ça m'a fait passer l'envie de me gâcher la journée. 

Quant à celles et ceux qui se demandent encore ce que je fais de mes journées : je réapprends à vivre, et c'est déjà pas mal. A la prochaine ! 

 

Faute de photos cette semaine (je ne sais que choisir !), je vous laisse la playlist du jour, elle est ..hétéroclite.  Les hommes que j'aime - La Rue Kétanou ; Ma tête, mon corps et mes couilles - Grand Corps Malade ; Résident de la république - Alain Baschung ; J'ai un problème - Sylvie Vartant et Johnny Hallyday - Si tu la croises un jour - Francis Cabrel ; Sous les palétuviers - Pauline Carton et André Berley ; Communiste - Cyril Mokaiesh. 

 

 A Sophie A., Sophie W. et Sophie Z. 

Écrire commentaire

Commentaires: 1
  • #1

    Christophe L. (mercredi, 05 décembre 2018 18:01)

    Si j'osais, je dirais que votre texte est un texte passe-partout (et je ne parle pas non plus de Fort Boyard)... Il passe doucement par les yeux sans même qu'on s'en aperçoive, s'enfonce tranquillement sous la peau en y glissant un léger frisson, entre par la grande porte dans la pompe à vie pour en ressortir d'un battement et retourner vers les yeux où il y fait ce qu'il a à y faire...
    Si j'osais je dirais que je suis heureux. Heureux que Sophie A. ait croisé votre route avec la mienne en m'envoyant un lien vers cette page. Heureux que, chemin faisant, votre texte se soit posé mon écran car il y a de la poésie au milieu de vos mots, de la légèreté au milieu de la souffrance et de la lumière au dessus des ténèbres. D'ailleurs cette image m'a toujours parue étrange : s'il y a de la lumière, les ténèbres devraient disparaitre, tout simplement, non ?... Bref, je m'égare...
    Il y a des textes, des idées, des expériences de vie qui méritent qu'on y consacre un peu de son temps. J'ai aimé ce temps que vous avez partagé au prétexte (ou pré-texte) de votre mauvaise humeur. Si tout le monde pouvait être de mauvaise humeur comme vous, ce serait là "un monde parfait" (vous citez J.H. je cite les Innocents),
    Et comme je crois fermement que lorsqu'une personne vous fait vivre un moment qui vous fait réfléchir, ou un moment qui vous procure une émotion, ou un moment qui vous amène à philosopher il faut l'en remercier... j'ai trois raisons de vous dire "merci".
    Alors... "Merci"