Défense d'afficher. Loi du 29 juillet 1881.

Aujourd'hui, ce n'est pas le titre du billet qui est mensonger, c'est la date.

[je marque une première pause, indispensable pour évacuer les contrepèteries que m'évoquent les expressions me laissant le choix dans la date. Là, c'est fait , c'est sorti. Je peux entrer dans le  vif du sujet]

 

Je devais rendre ma copie hier. Mais je n'étais pas prête à enfoncer une nouvelle porte ouverte. Aujourd'hui, je suis en forme : 

Quelque fut la voie empruntée, prêtée ou volée à nos parents pour devenir adulte ; aussi  ferrées, sans issue, sur berges ou pour les chanceux-ses, lactée, en ce qui me concerne, impénétrable, ces voies font que nous demeurons les enfants de nos parents. Blang !

Là, je l'ai bien défoncée la porte ouverte ! En ce qui me concerne, c'est derrière cette porte ouverte que j'avais caché les photos et les textes que je partage avec vous depuis deux mois. "ça sert à quoi ?" m'a demandée ma Mère quand, toute fière que j'étais d'avoir fait mon coming-out artistique, je pavanais devant l'écran qui montrait vudemafenetre.

Blessant ? Non. Plus maintenant. Comme tous les enfants, j'ai une ardoise magique ; penser à bien secouer pour effacer.

 

Certains prétendent écrire pour guérir ; d'autres disent ne pouvoir écrire que parce qu'elles sont guéries ; d'autres encore fuient la guérison en écrivant celles des autres. Je ne sais pas à quelle catégorie j'appartiens, mais je sais que j'ai écrit dès que j'ai su tenir un stylo. J'aurais adoré savoir dessiner. Mais ça ne marchait pas. C'était plat, inodore, incolore.

Par contre, écrire ...  j'ai su faire même quand ça n'avait pas encore de sens, comme toutes les petites vagues dont j'ai couvert mon carnet de santé. ça n'amusait pas ma Mère, qui s'en excusait à chaque fois qu'elle devait le présenter, comme si elle faillait à mon éducation ... Je ne comprenais pas pourquoi le "Docteur" avait le droit, mais pas moi ! J'ai interprété la réaction de ma mère comme une Première sommation ! Tu n'es pas faite pour écrire.

 

En dernière année de maternelle, j'ai croisé le parcours de Mme L., instit de son mauvais état. Mme L. n'avait pas encore compris qu'elle n'était plus faite pour faire face chaque jour aux enfants des autres. Alors que j'apprenais à lire sur le Canard Enchainé de mon Père et le Paris-Match de ma Mère, j'apprivoisais les gestes qui forment les lettres en les reproduisant avec du papier calque. Grâce à ça, j'écrivais partout, sur la terrasse avec de l'eau les jours de grosses chaleurs parce que l'écrit devenait s'effaçait, sur le carrelage froid avec la mousse du bain, sur le chemin de l'école à la craie combinée aux fossiles des falaises , sur le sable, sur Le Journal, sacro-saint Journal, sacrilège ! Et surtout sur les murs de la salle à manger.

Mais mon instit, Mme L., n'avait visiblement pas reçu le message envoyé en Mai-68. Elle m'a très vite interdit toute forme d'expression. D'abord le droit d'écrire quand  j'avais fini mon travail, puis le droit de poser des questions. J'en posais tant et tant, que Mme L. a tiré la deuxième sommation ! sous la forme d'un morceau de  ruban adhésif marron qu'elle posait chaque matin sur ma bouche.

C'était dans les années 70 de 1900. Autre temps, autres mœurs. C'était surtout une exception perverse qui confirmait la règle avec force et fermeté, mais totalement dénuée de toute sensibilité humaine, puisque c'est une règle. Heureusement, après elle, je n'ai croisé que des éleveuses-eurs de Vilains Petits Canards  formés à la ferme de M. Boris Cyrulnik.  

Mais l'année avec Mme L. m'a paru compter double, voire triple. C'est mon organe supplémentaire, invisible et omniprésent qui m'a servi de corset pour apprendre à bien me tenir en société : l'orgueil. C'est un organe très sensible, l'orgueil. Alors, je vous laisse imaginer quand on le pic à vif ! Je ressens encore la brûlure quotidienne quand "l'heure des mamans" (beurk !) arrivait. Chaque jour, à 16h25, Mme L. me libérait sur parole. Seulement, avant de le faire, "attention ça va piquer !", du haut de sa suffisance, Mme L. plantait ses yeux dans les miens, comme pour me faire passer un dernier avertissement avant sommation  : "Ne triomphe pas, y'a école demain."

En réponse, Je souriais. Mais pas trop, le sourire qui rassure les grands ; pas celui qui risque d'attirer leur attention. C'est grâce à Mme L. que j'ai compris que je ne devais jamais être impressionnée. Par la Grâce involontaire de Mme L., j'ai appris à occuper mon esprit pour chasser la frustration et l'ennui d'un quotidien emmuré. J'ai appris à prémâcher tout ce qui passait sous mes yeux pour le rendre digeste.

Et puis, après Mme L., on me promettait le CP ! J'allais enfin avoir le droit de lire et d'écrire, c'était très vivement recommandé puisque j'avais le bon âge.  Dans le même temps, à la maison, il a fallu redoubler de vigilance. C'est vraiment dommage pour une "première de la classe". Mes parents ont tiré la troisième sommation ! Jamais deux sans trois.

 

Tant que les murs de la salle à manger furent en plâtre, ce qui correspond à mon entrée en CP, c'était open-bar pour moi à la maison, j'avais même droit de jouer avec le ciment.  Mais dès qu'ils ont lu Vénilla, tout a changé.  Ils posé sur les murs de leur foutue vie un foutu papier peint marron à fleurs oranges.  Comme s'ils avaient posé dans la "pièce à vivre" un gros panneau rouillé barré d'un baveux "Défense d'afficher - Loi du 29 juillet 1881".

Si c'était une loi, il fallait l'appliquer. Ou alors, il fallait ruser pour la contourner, parce que certaines lois donnent l'impression de n'avoir été votées que pour mieux être contournées. Et certains adultes donnent l'impression d'être nés pour construire des contournements. Mon père était un maçon qui entretenait des rapports ambigus avec les lois. Il m'a involontairement appris à contourner. 

Après neuf années passées entre les murs familiaux, alors que j'étais Ado, "nous avons quitté mon père". J'ai eu Ma Chambre,  avec ses propres murs, recouverts comme tous-tes les ados, mais pas avec des posters. Je n'en avais qu'un seul : celui d'une femme sans tête en noir et blanc aux courbes gourmandes et généreuses. Je la regardais, comme une figure magique : je veux être ça ! Puis j'ai entouré la femme nue et néanmoins généreuse, de citations d'écrivains. Grâce à elles, j'ai découvert la sensation que procure le fait  d'écrire pour les autres. Puisque Môssieur le Président de la république ne veut pas que ces sinistres utilisent les métaphores sportives en dehors du seul cadre sportif, je comparerais le fait d'écrire pour les autres à celui d'être coéquipier du maillot jaune. Toujours là, mais jamais vraiment regardé parce qu'il est là pour ça.

 

En écrivant, je transgresse le "Défense d'afficher" familial. Mais je le fais avec prudence. Ce doit être le comble pour une grande bavarde : à l'oral, mes très indisciplinés mots-maux ont une fâcheuse tendance à devancer ma pensée. Je vais encore restée couchée à l'écrit un moment, le temps de discipliner mes maux-mots, auprès de ma fenêtre, bien entendu !

En attendant jeudi prochain, je vous invite à la Chasse à l'ombre.

 

 

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