Le premier concert

Le premier concert, comme toutes les premières fois, est stocké dans la mémoire à long terme. Premier cliché du jour et il n'est pas photographique. Les clichés, c'est  comme les chansons populaires, on en a honte, mais ils offrent l'avantage d'être à la portée de tous. C'est rassurant.

Mon premier concert avait des airs de mauvaise blague : en novembre 1992, Etienne Daho souffrait d'une ...  extinction de voix. 

Mais l'essentiel n'était pas sur la scène. Dans la salle, juste collé à moi, s'agrippant à mon bras droit, il y a avait celui qui depuis est devenu Mon N., l'ami "fidèle et dévoué", comme il aimait à le signer dans ses lettres. Quant à Etienne Daho, Ouverture, Le Premier jour ... et tant d'autres ont effacé l'ardoise.

Vendredi 29.I.16, j'ai offert à ma fille de 9 ans son premier concert de grande. J'ai tenu à payer les places pour qu'elle puisse garder SON ticket. Aller au concert a pris une autre dimension depuis le 13-XI-15. Alors le baptême devait être soigné.

Et cerise sur le piano, sur scène, Q. et sa guitare accompagnaient Naâman.

Avec son maire de père et quelques autres, nous avons offert à Q. son premier concert. Mais pas celui auquel on assiste ; mieux que ça. Le premier concert passé sur la scène. Mais c'est une autre histoire.

 

Objectivement, le titre de ce billet est mensonger. M. en a pratiqué des salles de spectacles avant d'aller au 106 [Rouen, France]. Elle avait cinq mois la première fois. C'était un concert privé avec des musiciens anglais de génie dans un mariage improbable.

M. a tout de suite été fascinée par le son des guitares. Puis, elle a vu des opéras d'objets (la Balle Rouge, elle s'en souvient encore), des apéros-contes, des bœufs privés, des festivals de free-jazz ...  Là, j'avoue, elle avait raison "ils jouent bien, Maman, j'te rassure, mais ça m'saoule.

- Je te rassure, moi aussi, ça m'saoule.

M. sait depuis longtemps que les mots peuvent blesser alors elle enrobe ses phrases de précautions, au cas où.

La première fois qu'elle est allée à l'Opéra, elle est devenue chef d'orchestre. Puis elle a tremblé pour des poètes-acrobates, s'est interrogée sur des danseurs contemporains qui ne portaient pas de tutus. Elle grimace vite quand les élans vocaux ne sont pas  maîtrisés. Elle ne veut plus écouter les voix trop aiguës. "C'est pas que j'aime plus Maman, mais ça me donne envie de pleurer."

 

A la naissance, M. souffrait du syndrome du bébé glouton ! Comme le petit hispanique teigneux (non pas celui auquel les médias penseraient, mais celui d'Astérix, Pepe Soupalognon y Crouton), M. arrêtait de respirer, mais uniquement quand elle avait faim. Voilà qui dit tout de la place que M. occupe dans notre écosystème familial : elle se nourrit de tout ce qu'elle trouve. Surtout si c'est musical. Dans sa play-list, Adèle braille son amour perdu (il serait temps pour elle de passer à autre chose, vraiment, faut savoir tourner des pages) ; la Reine de la nuit montre à la Reine des neiges qu'elle a encore des progrès à faire ; Patty Smith et Ben Harper me font oublier Kendji Truc et Lady Bidule. J'adore quand M. devient Diam's et qu'elle m'explique pourquoi il ne faut jamais jurer "sur la tête de ma mère" ("Heureusement qu'on hérite pas les couilles de son père, sinon j's'rais dans la merde.")

 

M. a fait de sa play-list un espace permanent de revendications. Quand sa maîtresse de petite section de maternelle a voulu lui expliquer qu'Antisocial n'était pas une chanson de son âge, M. s'est réfugiée dans la Marseillaise. Depuis, elle la chante tout le temps  "pour ne pas la laisser aux méchants" . J'équilibre toujours avec le Chant des Partisans. C'est important la résistance.

 

Pendant quelques mois M. a demandé Papaoutai . Elle appelle Bruce Sprinsteen à la rescousse les jours où j'ai l'impression d'être un personnage de ses chansons. Elle sait même que Bob Marley peut détendre les humeurs masculines de la maison, qu'elles soient humaines ou canines.

M. aussi aime le reggae. "J'ai toujours l'impression que je suis sur une plage au soleil quand j'écoute cette musique-là.

- ça tombe bien mon Chou, le 29.I, je t'emmène au soleil  : on va voir Naâman au 106.

- Un vrai concert d'adultes ? Le soir ?

- Oui, un vrai concert d'adultes.

- Et c'est Naâman en plus ! Je vais voir Q. jouer ?  C'est trop bien. Je sais qu'il faut pas dire trop, mais quand même, c'est trop bien."

 

Vendredi soir, pour se mettre dans l'ambiance, et surtout pour laisser les garçons en paix, j'ai emmené M. faire le tour du 106, sous les Grues Picasso "comme Picasso !!! c'est mon peintre préféré  !!! (c'est une pré-ado, alors les !!!  et les ??? voire !?!? sont temporairement devenus indispensables à son expression, temporairement, j'espère). M. a découvert l'avant-concert, les bières, les bousculades, les jeux de rôle, les retouches maquillage aux commodités, l'interminable bar avec ses interminables files d'attente et ses minables inter-changeables qui saoulent avant même d'avoir bu.

Puis M. est entrée dans la Grande Salle : "Parce qu'on n'a pas de sièges ? 

- Non, dans les concerts d'adultes, on est debout.

- Oh, c'est trop cool !

Elle a raison, les sièges de salles de spectacles sont toujours insupportables. A partir de quel corps les designers inventent-ils leurs modèles ? Quel arrière-train dépourvu de coccyx sert de base à ces assises ? J'aimerai comprendre...

 

Juste avant la première partie de Marcus Gad, dont c'était aussi le premier concert ... en France, comme pour rassurer M., les enceintes ont diffusé les ondes positives de Bob. Un air familier. Le visage de M. s'est illuminé. Son corps s'est dénoué. La musique a fait le reste. Le sésame all access photo  collé à la poitrine comme une récompense pour services rendus à la nation, ma môme sous le bras, et le L**** en main, j'ai figé ce premier concert, Vu de ma fenêtre, bien entendu ! 

A jeudi prochain.